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Absence de preuve de la remise d'un exemplaire de la salariée = cause de nullité

Social - Contrat de travail et relations individuelles
17/11/2020
L'employeur doit pouvoir démontrer qu'il a remis un exemplaire de la rupture conventionnelle au salarié. À défaut, il s'agit d'une cause de nullité de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Philippe Pacotte, Avocat associé et Raphaëlle Leroy, Avocat, Delsol Avocats

Les faits

Un salarié a été engagé en qualité de couvreur le 1er juin 2000. Le 17 juillet 2015, les parties ont conclu une convention de rupture conventionnelle du contrat de travail. La rupture du contrat de travail est intervenue le 5 septembre 2015.

Le 7 juillet 2016, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de différentes demandes dont une demande de requalification de la rupture conventionnelle en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les demandes et argumentations

Le conseil de prud'hommes a débouté le salarié de ses demandes. Un appel a été interjeté. La cour d'appel a infirmé le jugement rendu par le conseil de prud'hommes.

Le salarié soutenait que la rupture conventionnelle de son contrat de travail était nulle et devait produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif qu'aucun exemplaire de la convention ne lui avait été remis.

La cour d'appel a retenu que :

  • la remise d'un exemplaire de la convention de rupture au salarié est nécessaire à la fois pour que (i) chacune des parties puisse demander l'homologation de la convention et (ii) garantir le libre consentement du salarié, en lui permettant d'exercer ensuite son droit de rétractation en connaissance de cause ;
  • l'employeur a eu un exemplaire de la convention de rupture puisque c'est lui qui l'a adressé à la Direccte ;
  • il n'est pas mentionné sur le formulaire rempli par les parties qu'un exemplaire a été remis au salarié ;
  • l'employeur n'apporte aucun élément de preuve tendant à démontrer la remise d'un exemplaire de la convention au salarié.

Dans ces conditions, par un arrêt rendu le 14 novembre 2018, la cour d'appel a jugé qu'« à défaut de remise de la convention de rupture du contrat de travail à X, celle-ci est atteinte de nullité et produit dès lors les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. »

La société a formé un pourvoi en cassation. Elle faisait valoir au soutien de son pourvoi qu'aux termes de l'article L. 1237-11 du Code du travail, la rupture conventionnelle résulte d'une convention signée par les parties soumise aux dispositions de la section du Code destinées à garantir la liberté du consentement des parties.

Elle rappelait, qu'aux termes de l'article L. 1237-14 du Code du travail, l'accord des parties est matérialisé par une convention de rupture dont un exemplaire doit être transmis à la Direccte. Selon elle, ces dispositions n'impliquent pas, sous peine de nullité, que chaque partie dispose d'un exemplaire de la convention.

L'employeur soutenait en outre que la rupture conventionnelle est une rupture bilatérale du contrat de travail voulue par les deux parties. Si l'absence de remise au salarié d'un exemplaire de la convention de rupture entraîne la nullité de cette convention, c'est alors nécessairement à celui qui invoque cette cause de nullité d'en établir la réalité, à savoir au cas particulier, au salarié.

Enfin, l'employeur avançait que la remise au salarié d'un exemplaire de la convention de rupture doit permettre, d'une part, le dépôt de la demande d'homologation de la convention et d'autre part, de garantir son libre consentement en lui permettant d'exercer son droit de rétractation en connaissance de cause. En l'espèce, l'homologation de la convention avait bien été demandée puisque la Direccte l'a accordée.

Ainsi, l'employeur soulevait l'absence de base légale de l'arrêt d'appel qui a jugé que l'absence de preuve de remise d'un exemplaire de la convention au salarié entraînait nécessairement sa nullité, sans rechercher si cela avait été de nature à affecter son libre consentement et son droit de se rétracter en connaissance de cause.

La décision, son analyse et sa portée

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la société en considérant que :

  • « en premier lieu, la remise d'un exemplaire de la convention de rupture au salarié étant nécessaire à la fois pour que chacune des parties puisse demander l'homologation de la convention, dans les conditions prévues par l'article L. 1237-14 du Code du travail, et pour garantir le libre consentement du salarié, en lui permettant d'exercer ensuite son droit de rétractation en connaissance de cause, il s'ensuit qu'à défaut d'une telle remise, la convention de rupture est nulle » ;
  • « en second lieu, en cas de contestation, il appartient à celui qui invoque cette remise d'en rapporter la preuve » ;
  • « la cour d'appel, qui a constaté qu'aucune mention de la remise d'un exemplaire de la convention n'avait été portée sur le formulaire, et qui a retenu que l'employeur n'apportait aucun élément de preuve tendant à démontrer l'existence de cette remise, en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche inopérante, que la convention de rupture était nulle. »

La remise d'un exemplaire original de la rupture conventionnelle au salarié est essentielle

Les dispositions relatives à la rupture conventionnelle sont régies par les articles L. 1237-11 et suivants du Code du travail.

À leur lecture, la nécessité d'établir la convention de rupture conventionnelle en deux exemplaires n'est pas explicite. Elle se déduit de l'article L. 1237-14 du Code du travail. Ce dernier précise qu'à « l'issue du délai de rétractation, la partie la plus diligente adresse une demande d'homologation à l'autorité administrative, avec un exemplaire de la convention de rupture. » En effet, pour que l'employeur ou le salarié puissent déposer l'accord à la Direccte aux fins d'homologation, il est bien indispensable que chacun détienne un exemplaire de la rupture dûment signé par les deux parties.

L'obligation d'établir un double original ressort expressément des dispositions du Code civil. Selon l'article 1375 : « l'acte sous signature privée qui constate un contrat synallagmatique ne fait preuve que s'il a été fait en autant d'originaux qu'il y a de parties ayant un intérêt distinct, à moins que les parties ne soient convenues de remettre à un tiers l'unique exemplaire dressé. »

La Cour de cassation semble fonder son raisonnement sur la nécessité de garantir l'effectivité du consentement du salarié, élément fondamental de la rupture conventionnelle. En effet, le vice du consentement relatif à la volonté de conclure une rupture conventionnelle entraine la nullité de cette dernière. Ainsi, les juges entendent que le salarié puisse (i) demander l'homologation de la rupture conventionnelle et (ii) se rétracter en toute connaissance de cause. Cette nécessité passe par la remise au salarié d'un exemplaire original de la rupture conventionnelle signé par les deux parties. A contrario, un salarié privé d'un exemplaire orignal de la rupture conventionnelle serait placé dans l'incapacité de bien évaluer les modalités de cette dernière et les droits qui l'entourent.

La Cour de cassation avait déjà eu l'occasion de se prononcer sur cette question dans des affaires antérieures. Ainsi, dans un arrêt du 3 juillet 2019, le salarié détenait un exemplaire de la rupture conventionnelle non signé par l'employeur. La cour d'appel avait considéré que nonobstant l'absence de signature de l'employeur sur l'exemplaire de la rupture conventionnelle remis au salarié, celui-ci avait toujours la possibilité d'exercer son droit à rétractation, dans un délai de 15 jours imparti, à compter de sa propre signature de ce document qui rappelle expressément l'existence de cette faculté. La Haute Cour a infirmé cette décision en considérant « que seule la remise au salarié d'un exemplaire de la convention signé des deux parties lui permet de demander l'homologation de la convention et d'exercer son droit de rétractation ».

Dans une décision du 6 février 2013, la Cour de cassation avait également jugé « que la remise d'un exemplaire de la convention de rupture au salarié est nécessaire à la fois pour que chacune des parties puisse demander l'homologation de la convention, dans les conditions prévues par l'article L. 1237-14 du Code du travail, et pour garantir le libre consentement du salarié, en lui permettant d'exercer ensuite son droit de rétractation en connaissance de cause ».

En pratique, l'employeur doit retenir qu'il est impératif, pour toute rupture conventionnelle, de remettre dès sa signature un exemplaire original dûment signé par l'employeur et le salarié afin d'éviter tout litige relatif à la nullité de la rupture.

La Cour de cassation s'est également prononcé sur la charge de la preuve de cette remise.

La charge de la preuve pèse sur l'employeur

La Cour de cassation se montre rigoureuse sur le terrain de la charge de la preuve. En effet, la Haute Cour aurait pu retenir qu'il revenait à la partie qui se prévaut de l'absence de remise de la convention de rupture de démontrer le non-respect de cette obligation. C'est ce que soutenait l'employeur au cas particulier. De la même manière, l'établissement en deux exemplaires du formulaire Cerfa de rupture conventionnelle aurait pu être considéré comme une présomption de remise de l'exemplaire original à chacune des parties.

Plus sévèrement, la Cour de cassation juge que c'est à celui qui invoque cette remise d'en rapporter la preuve. Concrètement, si le salarié se prévaut de l'absence de remise d'un exemplaire original de la rupture conventionnelle aux fins d'obtenir la nullité de la rupture, cette prétention devra être combattue par l'employeur par la preuve de la remise effective de cet exemplaire original.

Ainsi, le simple fait de procéder à l'établissement du formulaire Cerfa en deux exemplaires ne suffit pas. En pratique, l'employeur devra mettre en place un process permettant de se ménager la preuve de la remise de l'exemplaire original au salarié. Plusieurs pistes pourraient être envisagées :

  • la rédaction d'un document annexe dans lequel le salarié reconnaît à date avoir reçu un exemplaire original de la convention de rupture ;
  • une mention expresse et manuscrite du salarié sur le formulaire Cerfa de la remise de l'exemplaire original de la convention.

“Cette prise de position de la Cour de cassation n'est pas une surprise”.

Cette prise de position de la Cour de cassation n'est pas une surprise. En effet, dans une autre décision du 3 juillet 2019, le salarié soutenait qu'aucun exemplaire original de la rupture conventionnelle ne lui avait été remis. La cour d'appel avait débouté le salarié de sa demande de nullité au motif que le formulaire Cerfa avait été établi en double exemplaire. La Cour de cassation a cassé cette décision et considéré que la Cour ne pouvait rejeter la demande de nullité du salarié « sans constater qu'un exemplaire de la convention de rupture avait été remis au salarié ».

En définitive, l'arrêt du 23 septembre 2020 vient confirmer la ligne jurisprudentielle selon laquelle la protection du consentement et de la libre volonté des parties est cruciale, aussi bien dans le cadre des pourparlers précédant la conclusion de la rupture conventionnelle - notamment concernant la tenue d'entretien(s) permettant de convenir de la rupture conventionnelle, que postérieurement à la conclusion de la rupture conventionnelle. L'employeur doit être en mesure de prouver que le salarié a pleinement bénéficié (a) de la possibilité de solliciter l'homologation de la rupture conventionnelle et (b) de son droit de rétractation, par la remise d'un exemplaire original de la rupture conventionnelle signé par les deux parties.

Ainsi, en matière de rupture conventionnelle, la facilité de recourir à cette modalité de rupture du contrat de travail ne doit pas occulter la nécessité de respecter une formalisme rigoureux.... À défaut duquel la sanction sera sévère !

Source : Actualités du droit