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Écoutes et avocats : comment protéger le secret professionnel ?

Pénal - Procédure pénale
24/07/2020
Lors d’un e-débat organisé par le Conseil national des barreaux, le 9 juillet 2020, consacré aux écoutes, des professionnels sont revenus sur l’affaire des fadettes d’avocats consultées par le Parquet national financier en marge d’un dossier pénal. L’occasion de mettre en exergue l’insuffisance de l’encadrement juridique des écoutes incidentes et des fadettes.
Face à l’actualité et à l’affaire des fadettes d’avocats consultées par le PNF dans le cadre d’une enquête préliminaire, le Conseil national des barreaux (CNB) a jugé nécessaire d’organiser un e-débat intitulé « les écoutes : secret professionnel en danger ».
 
Christiane Féral-Schuhl, présidente du CNB, a rapidement donné le ton : « Il faut que nous nous interrogions collectivement sur un éventuel projet de réforme des textes qui régissent les écoutes et les interceptions de correspondance pour que, plus jamais, des enquêteurs puissent se sentir autorisés de procéder à de telles mesures ».
 
Parce que finalement, cette surveillance porte atteinte au secret professionnel des avocats, secret qui « recouvre à la fois la relation entre l’avocat et le client, mais aussi les secrets dont l’avocat est récipiendaire » rappelle Vincent Pénard, élu du CNB. Il débute avec le nom du client, qui est lui-même protégé par le secret professionnel.
 
Condition indispensable à la protection des droits de la défense mais également du droit à un procès équitable, le secret professionnel fait l’objet d’un cadre juridique perfectible.
 
 
Un cadre légal effectif
De nombreux articles du Code de procédure pénale viennent encadrer le secret professionnel de l’avocat. Et comme l’a résumé Jacques Dallest, procureur général près la cour d’appel de Grenoble, lors du e-débat, « les avocats sont écoutables seulement s’ils ont participé à une infraction pénale ».
 
Concrètement, l’article 100-5 de ce Code précise qu’« à peine de nullité, ne peuvent être transcrites les correspondances avec un avocat relevant de l'exercice des droits de la défense ». Avec une exception, s'il apparaît que le contenu de la conversation est de nature à faire présumer la participation de cet avocat à l'infraction (Cass. crim., 8 nov. 2000, n° 00-83.570). Et encore, dans cette hypothèse, comment concilier l’activité professionnelle et l’activité illégale présumée de l’avocat, soulève Jacques Dallest ?
 
En conclusion, et comme le synthétise la Cour de cassation : la retranscription d'une conversation téléphonique entre un avocat et son client doit être annulée si son contenu n'apparaît pas de nature à faire présumer la participation de cet avocat à une infraction (Cass. crim., 17 sept. 2008, n° 08-85.229).
 
Le Code de procédure pénale impose également une information préalable du bâtonnier pour le placement sous écoute d’un avocat.
 
« Il y a des réglementations très strictes concernant les écoutes d’un avocat, cela doit se faire de façon légale », a insisté Jacques Dallest. L’important, c’est de trouver le juste équilibre entre la recherche de la vérité et la protection des droits de la défense. Mais le faire « d’une main tremblante ».
 
 
Quid des écoutes incidentes ?
L’avocat Vincent Pénard rappelle que « les écoutes sont possibles sur des numéros de téléphone identifiés et par hasard, des enquêteurs peuvent tomber sur une conversation d’une personne qui n’est pas l’utilisateur habituel de ce numéro de téléphone et d’un avocat ». Les écoutes incidentes posent donc une réelle difficulté.
 
La CEDH a même, après avoir rappelé la nécessité de la confidentialité des échanges entre l’avocat et son client, accueilli l’exception de la transcription d’écoutes incidentes si le contenu de la conversation peut faire présumer la participation de l’avocat à une infraction et si les droits de la défense ne sont pas altérés (CEDH, 16 juin 2016, n° 49176/11, V-C et C c/ France).
 
Et il en est finalement de même pour les écoutes administratives. Jacques Dallest précise ainsi que « dans le Code de la sécurité intérieure, magistrats, avocats ou journalistes ne peuvent faire l’objet d’une écoute administrative à raison de l’exercice de leur mandat ou de leur profession. Or dans le cadre de cette activité, ces mêmes personnes ne peuvent faire l’objet d’écoutes que sur avis obligatoire d’une commission ». La règle est donc claire. Mais finalement, le client n’est pas concerné par cette interdiction. Il est donc possible d’écouter le client et de tomber sur une conversation avec son avocat.
 
 
Les fadettes : un vide juridique
S’agissant des fadettes, le problème est certain : « il n’existe pas de législation spécifique en matière de réquisition de fadettes et de géocalisation ce qui sous-entend qu’il n’y a pas de protection particulière pour le téléphone d’un avocat, ce qui pose une vraie difficulté » soulève Me Pénard. D’autant plus que les enquêteurs, qui se voient remettre la liste des appels, peuvent identifier les numéros et donc savoir qui est client.
 
Jacques Dallest valide ce manque et déplore que finalement la logique veut que « tout ce qui n’est pas formellement interdit est autorisé ». Conclusion : « ça ne serait pas inutile de réglementer sur les fadettes. Un cadre qui manque dans notre Code de procédure pénale et qui permettrait de border l’action des services d’enquêtes et magistrats lorsqu’ils veulent utiliser ces procédés ».
 
Il n’empêche, « on joue sur les mots quand on fait une distinction entre le contenu des conversations et les fadettes », déclare Elise Arfi, avocate. Selon elle, le tout fait partie du secret professionnel.
 
Vincent Pénard propose pour sa part de privilégier le « caractère ponctuel ou précis des investigations au lieu de construire un filet de papillon ». Pourquoi ? Lorsque l’autorité enquêtrice part d’un appel, il est finalement possible de tisser une toile qui porte atteinte au secret professionnel.
 
 
Une meilleure protection qui passera par une intervention du législateur
Finalement, entre le manque d’information sur les fadettes et le problème des écoutes incidentes, il faudrait « un renforcement, ou au moins une meilleure définition, de la protection du secret professionnel pour éviter que des atteintes puissent y être portées sans aucun encadrement légal, notamment pour les fadettes » conclut Vincent Pénard. Le tout en veillant à « l’équilibre entre le besoin de vérité et le besoin de secret, qui doit exister de manière intangible dans une société démocratique ».
 
Même conclusion pour Christiane Féral-Schuhl qui regrette que des glissements se fassent, certains « comportements tendant à s’octroyer des zones sur lesquelles il est urgent de ramener à la règle ». Parce que pour la présidente du CNB, il y a une distinction entre le contenu et le contenant : « ça ne sert à rien de se battre pour le secret professionnel si on ne s'intéresse pas aussi au contenant ».
 
Pour Christiane Féral-Schuhl, la nomination d’Éric Dupont Moretti à la Chancellerie est une chance. En tant qu’avocat, le nouveau garde des Sceaux « est sensibilisé à ce sujet ».
 
Et rappelons qu’un rapport de l’Inspection général de la Justice est attendu le 15 septembre sur l’examen des relevés téléphoniques détaillés d’avocats et de magistrats dans une enquête préliminaire ouverte en 2014 par le PNF (v. Qui est l’Inspection générale de la justice saisit par la garde des Sceaux dans l’affaire des « écoutes » ?, Actualités du droit, 3 juill. 2020). Il doit apprécier l’étendue et la proportionnalité des investigations effectuées.
 
 
Source : Actualités du droit