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Lutte contre la corruption internationale : une circulaire pour une véritable politique pénale

Pénal - International, Informations professionnelles
Affaires - Pénal des affaires
17/06/2020
Le 2 juin, la garde des Sceaux a diffusé à tous les parquets une circulaire de politique pénale sur la lutte contre la corruption internationale. Objectifs : que la politique pénale devienne un moteur de la lutte contre la corruption internationale et faire retrouver à la France sa souveraineté judiciaire. 
Cette circulaire, diffusée à tous les parquets le 2 juin, doit permettre à la France de retrouver sa « souveraineté juridique ». Pour cela, il faut « prendre de vitesse les autorités judiciaires étrangères, en réalité les Américains », souligne Nicole Belloubet (AFP, 3 juin).
 
Rappelons que le rapport Gauvain destiné à « Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale », publié en juin 2019, constatait que les entreprises françaises étaient condamnées par le droit américain n’ayant pas d’autres choix que de s’auto incriminer en payant des sommes au Trésor américain, souvent disproportionnées. Une explication : « Ces attaques contre des entreprises françaises sont parfois facilitées par nos propres faiblesses, particulièrement par le retard pris par la France dans la lutte contre la corruption internationale depuis le début des années 2000 » (v. Vers une loi de souveraineté économique en riposte aux mesures extraterritoriales ?, Actualités du droit, 26 juin 2019).
 
« On vient d'une époque où la France n'était pas considérée comme l'un des pays moteurs dans la lutte contre la corruption » déplore la garde des Sceaux : la circulaire entend bien lui conférer une toute autre place.
 
 
Tout un arsenal législatif pour lutter contre la corruption
La circulaire rappelle les instruments dont dispose la France pour mieux lutter contre la corruption :
- le Parquet national financier (PNF), créé par la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et entré en activité le 1er février 2014 ;
- l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) créé par décret du 25 octobre 2013 ;
- l’extension des techniques spéciales d’enquêtes en matière de corruption d’agents publics étrangers et de trafic d’influence d’agents publics étrangers (par exemple : l’infiltration, l’enquête sous pseudonyme, l’interception des communications, la captation de données informatiques, la géocalisation etc.) par la loi du 13 novembre 2007 ;
- le renforcement des amendes encourues par la loi du 6 décembre 2013 ;
- l’Agence française anticorruption (AFA) créée par la loi du 9 décembre 2016, dite Sapin II ;
- la possibilité de prononcer des peines de mise en conformité pour l’autorité judiciaire ;
- la Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), un nouvel instrument juridique qui permet « de sanctionner de manière adaptée et diligente les faits de grande corruption commis par des personnes morales » ;
- et, enfin, l’allongement du délai de prescription en matière de corruption, qui est passé de 3 à 6 ans, avec la consécration du report de point de départ du délai en matière d’infractions occultes ou dissimulées par la loi du 27 février 2017.
 
« Grâce à ces réformes successives, l'autorité judiciaire dispose désormais d'outils et de dispositifs pour poursuivre efficacement cette forme de délinquance financière particulièrement complexe et insidieuse, et ainsi faire respecter sa souveraineté judiciaire vis- à-vis des autorités de poursuite étrangères qui souhaiteraient exercer des poursuites à l'encontre d'opérateurs économiques français » précise la circulaire.
 
 
Le PNF au cœur de la lutte contre la corruption
La circulaire offre au PNF « le rôle central » en matière de lutte contre la corruption internationale. D’une part, du fait de sa visibilité et reconnaissance sur la scène internationale en tant qu’ « interlocuteur incontournable et respecté » et, d’autre part, grâce à son expertise technique et juridique et des moyens spécifiques dont il dispose.
 
La circulaire incite donc « dès lors que des suspicions de corruption internationale crédibles sont portées à la connaissance d’un parquet, ou apparaissent dans le cadre d’une procédure, et dans la continuité des instructions antérieurement données en ce sens, (à informer) le PNF (…) de manière systématique de ces affaires, sans distinction selon le stade de procédure, le niveau de responsabilité des personnes impliquées ou la dimension financière du dossier ».
 
Un texte qui entend conférer également un rôle important aux administrations et agences dans la détection des faits de corruption internationale. Y sont listés les différents canaux qui peuvent (ou doivent) signaler les faits. Apparaissent alors dans cette (longue) liste les agents de l’administration fiscale, son personnel, les postes diplomatiques et consulaires, les services économiques et les services économiques régionaux, qui sont tenus de « révéler à l’autorité judiciaire les faits délictueux dont ils acquièrent la connaissance » mais également l’AFA, les AAI, certains opérateurs publics ou parapublics, des banques multilatérales de développement, ou encore, bien sûr, Tracfin.
 
Avec pour le PNF un rôle de sensibilisation de bons nombres de ces acteurs sur les obligations de révélations, les possibilités de détection, etc.
 
La circulaire invite également le PNF a être proactif dans la recherche, l’analyse et l’exploitation des informations. « Il conviendra que le PNF procède régulièrement à l'exploitation de l'ensemble des sources d'informations à sa disposition concernant l'activité des entreprises actives à l'international » explicite la circulaire. Il faudra notamment organiser :
- l’exploitation systématique des demandes d’entraide internationale impliquant des entreprises françaises ou exerçant une activité économique en France ;
- une veille médiatique sur les articles de presse nationaux et étrangers susceptibles de justifier des vérifications approfondies, qui sera confiée à un magistrat du Parquet ;
- l’exploitation des informations échangées entre les pays membres de l’OCDE.
 
 
L’appel aux entreprises à s’auto-dénoncer
La circulaire encourage les entreprises à s’auto-dénoncer. « La divulgation volontaire par les entreprises d'actes de corruption commis dans le cadre de leurs activités commerciales internationales par certains de leurs membres constitue une précieuse source de détection » souligne la circulaire.
 
Et la ministre insiste : « il faut que le PNF fasse connaître aux entreprises la pratique - encore loin des usages en France - de self disclosure où les sociétés viennent elles-mêmes dénoncer des faits de corruption interne et cherchent une solution avec la justice » (AFP, 3 juin 2020).
 
En contrepartie, la circulaire annonce pour les dirigeants qui dénoncent des faits de corruption ou trafic d’influence, « une certaine forme de clémence quant aux modalités de poursuite susceptibles d'être envisagées par le PNF ». Il s’agit notamment de la possibilité de solliciter la conclusion d’une CJIP. Pour autant, cette clémence informelle ne suffira sans doute pas à convaincre les entreprises à s’auto-dénoncer. Raison pour laquelle le PNF est invité à « développer les échanges avec les organisations représentatives des entreprises actives à l'international (MEDEF, AFEP) afin de définir et mettre en œuvre un cadre et des modalités pratiques incitatives en matière de divulgation spontanée ».
 
 
Une stratégie d’enquête définie
La circulaire fait aussi état d’une stratégie d’enquête à adopter destinée tant à révéler « avec célérité et exhaustivité les schémas de corruption utilisés » qu’à identifier l’ensemble des parties prenantes. Avec un focus particulier sur les investigations patrimoniales qui permettent de déterminer si les biens ou avoirs peuvent être liés à un schéma de corruption.
 
Un texte qui rappelle également les différentes qualifications pénales applicables, affirmant qu’il « conviendra donc de ne pas hésiter à enquêter sur certaines infractions périphériques dont la preuve peut être plus simple à établir ». Sont listées les différentes qualifications possibles, à savoir :
- la corruption d’agent public étranger ;
- le trafic d’influence d’agent public étranger ;
- le blanchiment de capitaux ;
- le recel, envisagé de manière large par la jurisprudence ;
- l’abus de biens sociaux ou l’abus de confiance ;
- la publication ou présentation de comptes annuels ne donnant pas une image fidèle, l’escroquerie ou le faux en écriture privée ;
- ou encore la fraude fiscale.
 
 
Un mode de poursuite à bien adapter
Tant pour les personnes physiques que morales, le mode de poursuite doit être « adapté aux fins de sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives » signale la circulaire.
 
Ainsi pour les personnes physiques, le texte appelle à ce que des « poursuites soient envisagées, non seulement à l'encontre des employés directement impliqués dans le schéma corruptif, mais également à l'encontre des dirigeants et de l'ensemble des personnes physiques extérieures à l'entreprise qui sont intervenues, à un titre ou à un autre, dans le processus de commission de l'infraction ».
 
Plusieurs possibilités de réponses pénales : CRPC ou renvoi devant le tribunal correctionnel. Un choix qui devra dépendre « des antécédents du mis en cause, ainsi que de son degré d'implication, de reconnaissance des faits et de coopération avec l'autorité judiciaire ». Et en cas de renvoi devant le tribunal, des peines adaptées à la gravité des faits, à la personnalité et au degré d’implication devront être requises. La circulaire rappelle également l’opportunité des peines complémentaires (comme l’interdiction des droits civils, d’exercer l’activité professionnelle ou la confiscation des avoirs saisis).
 
Quant aux personnes morales, « la mise cause effective de la responsabilité pénale des personnes morales doit permettre de faire cesser l'existence de stratégies commerciales fondées sur le recours habituel à ces pratiques illicites ».
 
Une fois satisfaites les conditions d’engagement de la responsabilité de la personne morale, il faudra déterminer le mode de réponse pénale le plus adapté. À noter que l’opportunité de recourir à la conclusion d’une CJIP dépendra des antécédents, du caractère volontaire de la révélation des faits et du degré de coopération avec l’autorité judiciaire. Si cette voie est choisie, une attention particulière devra être portée au programme de mise en conformité et à la détermination du montant de l’amende (v. CJIP : bilan et perspectives, Actualités du droit, 16 mars 2020 et v. Jean-François BOHNERT, procureur de la République financier : « Les six CJIP auront rapporté, en moins de trois ans, un peu plus de trois milliards d’euros au Trésor public français », Actualités du droit, 17 mars 2020).
 
Dans l’hypothèse où la conclusion d’une CJIP n’est pas possible, la circulaire précise :
- qu’une CRPC pourra être envisagée ;
- que le renvoi devant le tribunal correctionnel est réservé aux faits « les plus graves et/ou systématiques et/ou impliquant des personnes morales non coopératives et/ou ne reconnaissant pas les faits ».
 
En cas de poursuite et en plus de l’amende, l’affichage ou la diffusion de la décision, la mise en conformité, la fermeture d’un ou plusieurs établissements de l’entreprise, la confiscation des avoirs saisis et/ou l’exclusion des marchés publics pourront être requis.
 
 
Une évaluation de l’OCDE attendue en 2021
À l’approche de la prochaine évaluation de l’OCDE prévue pour 2021, la définition d’une véritable politique pénale était attendue. Cette circulaire a donc vocation à illustrer la volonté française d’intensifier la lutte contre la corruption.
Source : Actualités du droit