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Code de justice pénale des mineurs : à quand l’entrée en vigueur ?

Pénal - Procédure pénale, Informations professionnelles
19/05/2020
Le Code de la justice pénale des mineurs devait entrer en vigueur le 1er octobre 2020. Mais face à la crise majeure, un projet de loi en cours d’examen prévoit de reporter sa mise en œuvre. Mécontentement du côté des professionnels qui demandent l’abandon du nouveau Code. 
Un débat avant l’heure, mais une entrée en vigueur après la date initialement prévue. C’est un peu tout le paradoxe de cette réforme. Rappelons qu’elle devait s’appliquer à partir du 1er octobre 2020, sachant que la ministre s’était engagée, avant cette échéance, à laisser un temps de discussion au Parlement à l’occasion du projet de loi de ratification. Mais finalement, les discussions ont déjà un peu commencées à la faveur du projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, en cours d’examen au Parlement, et les échanges traduisent de fortes oppositions.
 
Quelques dates pour bien suivre la genèse de cette réforme. Le 13 septembre 2019, l’ordonnance portant partie législative du Code de la justice pénale des mineurs a été publiée au Journal officiel (Ord. n° 2019-950, 11 sept. 2019, JO 13 sept., v. Le Code de la justice pénale des mineurs au Journal officiel, Actualités du droit, 13 sept. 2019) et le projet de loi de ratification déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 30 octobre (v. Le Code de justice pénale des mineurs arrive à l'Assemblée nationale, Actualités du droit, 4 nov. 2020).

L’élément nouveau, c’est le projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, en cours d’examen au Parlement (v. Déconfinement : un projet de loi « fourre-tout » en cours d’examen au Parlement, Actualités du droit, 13 mai 2020) qui, dans sa version initiale, habilitait le gouvernement, dans son article premier, à prendre une ordonnance pour reporter au plus tard jusqu’au 1er janvier 2022, la date d’entrée en vigueur ou d’application de dispositions législatives, dont, précise l’étude d’impact publiée le 6 mai 2020, l’ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du Code de la justice pénale des mineurs.
 
 
Un report attendu
Un report logique, notamment parce qu’un plan de réduction du nombre de dossiers était prévu pour préparer l’entrée en vigueur de la réforme. Mais en raison de l’état d’urgence sanitaire, du fonctionnement a minima de la justice et de la grève des avocats, « le ralentissement de l’activité dans le contexte de la crise sanitaire actuelle va encore accroître ce stock de dossiers puisque les audiences pénales (hors défèrement et mineurs détenus) ne seront pas tenues ».
 
Cela a notamment pour conséquence « qu’au sortir de cette période de crise, les juges des enfants devront assurer à la fois le jugement des dossiers nouveaux et de ceux qui ont été reportés en raison de l’état d’urgence sanitaire » souligne l’étude d’impact. Il en est de même pour les services éducatifs en charge de la mise en œuvre des mesures.
 
Autre point bloquant, technique, cette fois : le nouveau Code modifie la procédure et « nécessite des adaptations des applicatifs informatiques, qui sont également retardées ou dont la mise en œuvre entraînerait des difficultés organisationnelles pour les services ».
 
Décalage donc, de la mise en œuvre effective, mais pas d’abandon de cette réforme. Ce que rappelle Nicole Belloubet, lors des débats à l'Assemblée nationale : « je me suis engagée devant vous à tenir un débat parlementaire sur le sujet. Vous connaissez votre agenda : décaler cette réforme de quelques mois permettra d’organiser ce débat ».
 
 
Des précisions apportées au cours des débats
Ce report qui devait initialement faire l’objet d’une ordonnance a finalement été intégré directement dans le projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne par un amendement adopté le 11 mai 2020 (TA AN n° 2907, 11 mai 2020, amendement n° 179). Il a pour objet « d’inscrire directement dans la loi 3 reports d’entrée en vigueur de réformes importantes pour éviter de dépendre des délais glissants (jusqu’au 1er janvier 2022) prévue par l’habilitation ».
 
Concrètement, si ce texte est voté en l’état, l’entrée en vigueur du nouveau Code de justice pénale des mineurs est reportée au 31 mars 2021. Lors des débats, le rapporteur et auteur de l’amendement soulignait en effet qu’un report au 31 mars 2021, « permettra le travail de préparation au sein des juridictions et l’examen de l’ordonnance par le Parlement ».
 
 
Les professionnels demandent l’abandon pur et simple du Code
Pour autant, ce que demandent certains professionnels, c’est ni plus ni moins l’abandon total du texte. Comme le relève Antoine Savignat à l’Assemblée nationale, « vous avez dû lire comme moi l’appel de l’ensemble des professionnels du droit à reporter le débat et l’entrée en vigueur du Code de la justice des mineurs pour leur permettre d’être consultés puisqu’ils considèrent ne pas l’avoir été suffisamment ».
 
Cinq cents personnalités et professionnels de l’enfance demandent en effet l’abandon du Code de justice pénale des mineurs. Syndicat de la magistrature, Ligue des Droits de l’Homme, OIP, Conseil National des Barreaux, SNPES PJJ et d’autres ont ainsi signé deux lettres ouvertes, une adressée à la ministre de la Justice et l’autre aux parlementaires.
 
Après avoir contesté la forme (de procéder par voie d’ordonnance et l’absence de consultation des professionnels) et le fond (une accélération de la répression pénale au détriment du temps éducatif), les professionnels contestent aujourd’hui la faisabilité matérielle de la réforme. Ils relèvent plusieurs difficultés, en amont et en aval de la crise sanitaire.
 
 
Les difficultés exacerbées
Depuis longtemps, de nombreux professionnels contestent l’indigence des moyens : manque de services de prévention et de protection de l’enfance, de travailleurs sociaux pour assurer les mesures éducatives ordonnées dans des délais adaptés et de greffiers et magistrats pour juger dans un délai raisonnable.
 
Avec la crise sanitaire, ces difficultés se sont exacerbées : les services de milieu ouvert se trouvent ralentis voire à l’arrêt, « au détriment de l’accompagnement éducatif des enfants » et de nombreux lieux d’hébergement ont dû fermer « au prix parfois de réorientations précipitées et pas toujours adaptées pour les enfants ».
 
Et les tribunaux pour enfants doivent faire face à un stock de procédures pénales en attente qui est « abyssal ». Quant aux services de la protection judiciaire de la jeunesse, ils ont aussi dû mettre des mesures de côté. L’enjeu aujourd’hui est donc « de permettre aux différents acteurs de la justice des enfants de pouvoir reprendre leur activité habituelle et rattraper ce retard » est-il précisé dans les lettres ouvertes.
 

Des moyens demandés pour les professionnels
Selon ces professionnels, si des moyens matériels sont débloqués ça doit être pour « doter correctement les professionnels » en augmentant leur nombre, les protections sanitaires et en adaptant les outils de travail.
 
 « Il serait illusoire de penser qu’en mars 2021, ou même plusieurs mois après, ces difficultés seront résorbées. Les tribunaux pour enfants n’auront pas pu apurer leurs stocks et votre projet de code imposera des délais butoirs pour tous les nouveaux dossiers qui seront donc paradoxalement traités en priorité ». Pour eux, le projet de Code de justice pénale des mineurs doit être abandonné, « et non pas seulement reporté ».
 
 
Prochaine étape : la séance publique au Sénat
Le débat n’est pas fini. Le texte doit encore être discuté au Sénat à partir du 26 mai prochain.
 
Précisons qu’un amendement a déjà été déposé en commission des lois du Sénat, le 18 mai 2020 (TA Sénat, n° 440, 2019-2020, amendement n° COM-23), pour demander de « renoncer à la partie législative de son ordonnance et (d’organiser) le débat parlementaire autour d’un projet de loi élaboré en concertation avec tous les acteurs qui en ont largement exprimé la demande ». Un amendement qui propose donc de supprimer l’alinéa de la loi consacré au report. À suivre…
 
Source : Actualités du droit