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Image  Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la Justice

Levée de rideau sur le projet de réforme de la responsabilité civile

Civil - Responsabilité
13/03/2017
Ce lundi 13 mars, sous les ors de l’Institut de France, Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la Justice, est venu présenter, à l’Académie des Sciences morales et politiques, l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile. Les grandes lignes du texte et les évolutions par rapport à l’avant-projet d’avril 2016 ont été présentées. Sans que le contenu in extenso de ce projet soit dévoilé... Ce qu’il a finalement été vers 16h.
Les grandes lignes du projet de mars 2017

La nécessité de cette réforme.– «  L’ordonnance de février (Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016) ne marquait nullement la fin du chantier de modernisation du droit des obligations », a rappelé le ministre de la Justice. Bien au contraire, contrat et responsabilité ne pouvant être dissociés. Inchangés depuis 1804, ces cinq articles fondateurs du droit de la responsabilité (qui représentaient moins de 0,5 % des articles du Code civil de 1804) ont, comme le souligne Jean-Jacques Urvoas (v. notre entretien avec le ministre de la Justice, in RLDC 2016/138, n° 6211)  « résisté au temps, grâce à l’impressionnante œuvre de construction jurisprudentielle de la Cour de cassation qui a su les adapter à l’évolution des mœurs, de la société et de la langue française ». Pour autant, à cette époque, « la révolution numérique n’avait pas eu lieu, les véhicules autonomes et bien d’autres robots relevaient encore de la science-fiction ».

« La réforme de la responsabilité civile est donc une nécessité impérieuse », et « le législateur de 2017 devra aller plus loin que la seule codification de la jurisprudence ». Avec cette différence soulignée par Jean-François Borghetti, professeur à l'Université Panthéon-Assas, que les oppositions entre les projets doctrinaux étaient plus marquées que pour la réforme du droit des contrats. Mais il était temps, a relevé Michel Pébreau, président d'honneur de BNP Paribas et de la Fondation BNP Paribas, de réformer « cette branche du droit qui a été délaissée par le législateur qui n'a fait que créer des régimes spéciaux », d’autant que la responsabilité civile n’occupait qu’une place marginale dans le Code civil, dans la France rurale de 1804.
 
Rappelons qu’une consultation avait été ouverte après la présentation d’un avant-projet de loi le 29 avril 2016. La Chancellerie a reçu plus de 1 000 pages de contributions. Ce qui est nettement moins, cependant, que pour la réforme du droit des contrats (plus de 4 500 pages avaient alors été adressées au ministère).
 
La structure de la réforme.– Le projet consolidé s’articule autour de six chapitres :
  • Dispositions préliminaires
  • Conditions de la responsabilité
  • Causes d’exonération ou d’exclusion de la responsabilité
  • Effets de la responsabilité
  • Conventions sur la responsabilité
  • Et enfin principaux régimes spéciaux de responsabilité
 
Contenu du projet consolidé.– L’un des grands axes de ce projet, c’est bien la volonté d’une protection renforcée des victimes de dommages corporels. « Nous avons fait le choix de placer l’intégrité de la personne au sommet de la hiérarchie des intérêts protégés », a indiqué le garde des Sceaux. Ce qui implique que seule la faute lourde de la victime d’un dommage corporel pourra réduire son droit à indemnisation, qu’aucune obligation de minimiser son dommage ne saurait peser sur la victime d’un dommage corporel et que les clauses qui excluraient ou limiteraient la réparation de ce type de dommage seront prohibées. 

Plusieurs instruments méthodologiques sont consacrés, à savoir l’adoption d’une nomenclature non limitative des postes de préjudices, à partir de la nomenclature Dintilhac, bien connue des acteurs, et de deux barèmes (un barème médical d’invalidité unique et un barème de capitalisation des rentes). Seront également créés, une base de données jurisprudentielles permettant de situer l’évaluation de chaque victime dans son contexte précis et un référentiel d’indemnisation, purement indicatif, adossé à cette base de données et réévalué régulièrement.
 
La seconde ligne de force de cette réforme, c’est l’entrée dans le Code civil de la fonction préventive de la responsabilité civile. Le ministre a ainsi souligné que « fortement inspiré des travaux du professeur Terré, le projet consacre tout d’abord la cessation de l’illicite, comme fonction autonome de la responsabilité civile en matière extracontractuelle (…). Il ne s’agit plus seulement de réparer le dommage, mais d’agir sur sa source ». Avec l’introduction de l’amende civile, cet angle permettrait d’ouvrir, selon le garde des Sceaux, « une voie intermédiaire entre la voie civile classique (centrée sur la réparation des dommages), « et la voie pénale (axée sur la sanction des comportements). Ce chemin intermédiaire est destiné à s’appliquer, lorsque le responsable aura délibérément commis une faute lucrative (recherche d’un gain ou d’une économie), sans nécessairement avoir recherché le dommage ». Étant précisé que le montant de l’amende civile sera versé à l’État ou à des fonds d’indemnisation.
 
Parmi les autres points importants :
  • « la consécration dans une section dédiée d’un ensemble de règles communes aux responsabilités contractuelle et extracontractuelle mettra fin à nombre de controverses doctrinales », souligne Jean-Jacques Urvoas ;
  • la suppression de la possibilité pour les tiers payeurs de récupérer auprès du responsable, les prestations versées à la victime au titre de ses préjudices personnels ;
  • l’intégration dans le Code civil de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 (JO 6 juill.), dite loi Badinter, mais avec des modifications : son champ d’application est étendu aux tramways et aux chemins de fer. Et le sort des conducteurs victimes, jusque-là exclus de la protection offerte par cette loi, est amélioré, dès lors que « seule sa faute inexcusable lui sera dorénavant opposable, sans toutefois exiger qu’elle soit la cause exclusive de l’accident », a précisé Jean-Jacques Urvoas.  
La consolidation de la jurisprudence

Le texte reprend également des principes dégagés par la jurisprudence, notamment celui de la libre affectation des dommages et intérêts et de l’évaluation du montant des dommages et intérêts par poste de préjudice.

Est également issue de la jurisprudence, la clarification des différents régimes de responsabilité du fait d’autrui et du fait des choses (le texte intègre les multiples apports jurisprudentiels en matière de responsabilité pour troubles anormaux de voisinage et consacre l’essentiel de la jurisprudence en matière de responsabilité du fait d’autrui).

Ainsi, précise le garde des Sceaux, « là où ce régime de responsabilité n’était jusqu’à présent régi que par l’article 1384 du Code civil, chaque hypothèse de responsabilité de plein droit est désormais l’objet d’un article spécifique : responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur, responsabilité du commettant du fait de son préposé et responsabilité du fait de celui dont le mode de vie est organisé et contrôlé à titre permanent ».
 
Un projet en rupture avec certaines positions jurisprudentielles

La jurisprudence est néanmoins disruptée sur certains points, notamment sur la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur (une condition commune à tous ces cas de responsabilité du fait d’autrui, est introduite).

Autre point de rupture, la délicate question de l’articulation des responsabilités contractuelle et extracontractuelle, source d’une grande insécurité juridique. Le ministre a ainsi indiqué qu’« il a été choisi de faire relever la réparation du préjudice corporel de la responsabilité civile extracontractuelle, même si le dommage a été causé à l’occasion de l’exécution d’un contrat ».
 
Les évolutions entre l’avant-projet du 29 avril 2016 et le projet de mars 2017

Volume d'articles.– De 73, le nombre d'articles du projet de réforme est passé à 84, soit une inflation de plus de 15 %.

Plan du projet.–  Le plan de l’avant-projet a évolué pour plus de cohérence : certains textes ayant été déplacés (cessation de l’illicite, qui a été transférée des dispositions liminaires au chapitre relatif aux effets de la responsabilité ;  clauses portant sur la responsabilité qui, initialement incluses dans le chapitre sur les effets de la responsabilité, font désormais l’objet d’un nouveau chapitre puisqu’elles portent tant sur les conditions, que sur les effets de la responsabilité).

Terminologie.– Les contributions reçues ont amené la Chancellerie a réécrire un certain nombre d'articles. Il en est ainsi, par exemple, du texte consacré à la cessation de l’illicite. De même, des clarifications ont été apportées aux dispositions relatives à la décontractualisation de l’obligation de sécurité, à la perte de chance, au principe de responsabilité pour faute, ou encore aux clauses d’exclusion de responsabilité.

Articulation responsabilité civile contractuelle/extracontracutelle.– Le contenu de l’avant-projet a évolué sur un point important, s’agissant de l’articulation entre la responsabilité contractuelle et délictuelle : le garde des Sceaux a ainsi précisé que « suite à la consultation, nous avons (…) ajouté que la victime pourrait invoquer les stipulations expresses du contrat qui lui sont plus favorables que l’application des règles de la responsabilité extracontractuelle ». Avec comme objectif que la situation de la victime soit aussi favorable que dans le droit positif actuel et ce, sans forcer le contrat par la découverte d’obligations de sécurité.

Préjudice réparable.– La référence à l’intérêt collectif dans la définition du préjudice réparable est abandonnée. L'objectif : éviter une extension non maîtrisée de cette notion qui ne saurait être confondue avec l’intérêt général. 

Responsabilité du fait des produits défectueux.– 
La cause d’exonération pour risque de développement n'est finalement supprimée que pour les produits de santé à usage humain, afin de favoriser la réparation des dommages corporels des victimes d’accidents sanitaires collectifs. 

Articulation régime général/régimes spéciaux de responsabilité.– Des dispositions nouvelles ont été intégrées de manière à assurer l’articulation du régime général de responsabilité avec les régimes spéciaux et à préciser le caractère impératif des règles particulières au dommage corporel.

Et après…

Pour le garde des Sceaux,  « cette réforme sera probablement historique ». Et le ministre ne « doute pas que ce projet, qui transcende les clivages, trouvera très bientôt (…), sa place naturelle aux articles 1240 et suivants du Code civil » (à suivre, très rapidement, une analyse plus approfondie du projet de réforme de mars 2017).

Pour le ministre, « Ce projet est une œuvre collective portée par la Chancellerie. Il doit servir de base aux discussions interministérielles en vue du dépôt d’un projet de loi. La session parlementaire étant achevée, je le laisse à la disposition de mon éventuel successeur, pour qu’il puisse être soumis au Parlement et que soit adoptée une grande réforme du droit de la responsabilité civile, indispensable, qui viendra parachever la réforme du droit des obligations entamée par l’ordonnance du 10 février 2016 ».

Et puis, pourquoi ne pas aller plus loin ? Le professeur Terré a ainsi tenu un long plaidoyer en faveur d’une autre réforme… celle du droit des contrats spéciaux « qui est tout autant vermoulu que l'ancien droit du contrat ». Avant une autre réforme, celle portant sur les robots et l'intelligence artificielle (non envisagée spécifiquement par ce projet de mars 2017) ?
 
Source : Actualités du droit